terça-feira, 6 de dezembro de 2011

L'imposture, dix années de politique de sécurité de Sarkozy

L'imposture, dix années de politique de sécurité de Nicolas Sarkozy

Essai Par Benoist Hurel, Eric Plouvier, Robert Badinter, Valérie Sagant. Le 29/11/2011

  • Envoyer à un ami
  • Version imprimable
Télécharger le rapport complet (version PDF)Télécharger la synthèse du rapport (PDF)Télécharger la préface du rapport (DPDF)
Depuis 2002, Nicolas Sarkozy se vante de succès remportés dans la lutte contre la délinquance. Sur quels arguments fonde-t-il l’appréciation de sa réussite ? L’analyse de quatre domaines de la politique gouvernementale de sécurité – la politique du chiffre ; la production législative pénale ; la prévention de la délinquance ; la vidéosurveillance -  permet de démontrer la supercherie à l’œuvre dans cet exercice d’autosatisfaction. En s’appuyant sur les données publiées par le gouvernement lui-même, sur les travaux scientifiques français et étrangers en la matière, sur les analyses conduites par différentes institutions publiques françaises et sur les récits et témoignages de praticiens, ce rapport de Valérie Sagant, Benoist Hurel et Eric Plouvier, préfacé par Robert Badinter, dénonce l’imposture de la communication faite autour de la sécurité.

Synthèse


Pour prétendre avoir réussi dans le domaine de la sécurité, le gouvernement s’appuie sur un unique indicateur : le nombre de faits constatés par les services de police et de gendarmerie. Ces statistiques montrent une baisse de 17% depuis 2003, alors que la période précédente (1997-2002) avait connu une hausse également de 17%, selon les déclarations du ministre de l’Intérieur en septembre 2011. Cette rhétorique est à l’œuvre depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur.



Pourtant, ce chiffre unique ne peut mesurer l’efficacité de la politique publique conduite en matière de sécurité pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il ne représente pas l’état réel de la délinquance, mais l’état de l’activité des services de police et de gendarmerie. Les enquêtes de victimisation viennent apporter d’importants correctifs en mesurant – sous la forme de sondages – les faits dont les citoyens se disent victimes. Ainsi, il apparaît que nombre de vols et de violences ne sont pas dénoncés aux services de police et de gendarmerie et qu’un dixième seulement des violences intra-familiales feraient l’objet d’une plainte officielle ; concernant les atteintes aux biens, un tiers environ des vols –toutes catégories – seraient dénoncés. Par ailleurs, ce chiffre unique de « la » délinquance additionne divers agrégats statistiques d’infractions très hétérogènes, mêlant les atteintes aux biens et aux personnes avec les diverses infractions à la législation sur les stupéfiants ou celles liées aux irrégularités de l’entrée et du séjour des étrangers ; en revanche, ce chiffre ne prend pas en compte la délinquance routière qui pourtant représente 15% des faits constatés. Agrégés en un chiffre unique, ces données perdent de leur signification, les évolutions ne sont pas les mêmes en ce qui concerne par exemple les meurtres – dont le nombre est très stable sur le long terme ou les vols à l’arraché – dont le nombre a cru avec l’arrivée sur le marché des téléphones portables.


Mais, il y a pire : le recueil même des statistiques n’est pas fiable et a fait l’objet de nombreuses interventions et directives destinées à répondre avant tout aux besoins de communication politique et qui sont aujourd’hui bien connues : réticence voire refus d'enregistrement de plainte, recours à la main courante, modulation de la qualification juridique, changements dans les modalités de décompte des infractions etc… Ces artifices et tromperies ont été largement institutionnalisés depuis dix ans, comme le montrent les nombreux récits des policiers, gendarmes et magistrats, de même que les circulaires officielles dont la dernière a été révélée en septembre 2011. Par manque d’indépendance et de moyens, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales n’a pas permis à ce jour de remédier à ces dérives. « La délinquance » continue de baisser au gré des injonctions ministérielles. Le « chiffre » est devenu une fin en soi et la culture du résultat a été dévoyée au profit de la communication politique.
Sur le terrain, les objectifs affichés de lutte contre l'économie souterraine et le trafic de drogues et de garantie de la paix publique n'ont pas été atteints. Les vols restent à un niveau élevé et les violences demeurent une préoccupation majeure. Ce sont surtout les interpellations pour usage de drogue et les infractions contre les personnes dépositaires de l'autorité publique qui ont progressé de façon spectaculaire. L'augmentation du taux d'élucidation, de 25% en 2001 à 38% en 2010, sensée refléter l'efficacité des services de police et de gendarmerie, est artificielle. Elle repose presque exclusivement sur le développement des infractions révélées par l'action des services (IRAS) et, parmi elles, sur l'arrestation des consommateurs de produits stupéfiants. Hors IRAS, le taux d’élucidation est ramené à 29% L'élucidation des cambriolages et des vols « à la tire » reste marginale avec des taux d’élucidation, en 2010, respectivement de 13,4% et de 4,3%.
Le résultat le plus tangible de la culture du chiffre se trouve dans la transformation des pratiques policières et judiciaires en une véritable frénésie pénale. Les indicateurs d'activité de la police sont devenus les objectifs et se concentrent sur le nombre de personnes déférées et le nombre d'affaires clôturées, au détriment des missions de sécurité publique, de prévention et de tranquillité publique de la police et de la gendarmerie. L'obsession des chiffres a éloigné la police de la population. Cette obsession se traduit par la judiciarisation systématique, sans considération pour la résolution effective des problèmes. Les pratiques judiciaires ont également évolué au nom du principe de la « tolérance zéro » et de la cohérence de la « chaine pénale ». Désormais, toute procédure contre un auteur identifié doit faire l'objet d'une réponse pénale. L'augmentation du taux de réponse pénale, passé de 67,9% en 2000 à 87,7% en 2009 est massive. Cependant, elle résulte surtout de l'augmentation des alternatives aux poursuites. Parmi elles, le rappel à la loi a pris la place du classement sans suite, stigmatisé comme le ferment du sentiment d'impunité. La logique de productivité qui s'est imposée à l'institution judiciaire se traduit par une standardisation des réponses apportées, en particulier avec les ordonnances pénales (25% des décisions des tribunaux correctionnels) rendues sans rencontrer le justiciable dans le contentieux de masse que représente la délinquance routière (41% des condamnations correctionnelles).


Les condamnations sont en hausse, leur sévérité s'accroit et le nombre de personnes détenues augmente : durant les dix dernières années, les condamnations pour crime ou délit ont augmenté de 16% et, durant les vingt dernières années, le nombre de peines d'emprisonnement ferme a crû de 20%. Pourtant, cette évolution n'empêche pas Nicolas Sarkozy d'entretenir la polémique sur le laxisme des juges, en s'appuyant le plus souvent sur l'émotion provoquée par des faits divers tragiques.
Le rapport du « sarkozysme » à la loi pénale repose de fait sur un dévoiement originel : uniquement focalisé sur l’expression d’un volontarisme politique effréné dans la lutte contre la criminalité, il doit d’abord créer les conditions d’efficacité de cette stratégie de conquête de l’opinion. D’où, en premier lieu, l’utilisation d’une rhétorique particulièrement habile destinée à instiller la peur et à sommer le citoyen de choisir entre la cause des « victimes » et celle des « voyous ». Dans cette perspective, chaque nouveau fait divers offre au pouvoir une occasion de communiquer sa compassion à l’endroit des premières et son hostilité à l’égard des seconds. L’annonce d’une loi nouvelle apparaît ainsi comme la conclusion logique de ces discours pour un pouvoir qui fait de l’affirmation de son volontarisme une de ses marques de fabrique : de fait, depuis une décennie, au moins huit lois pénales ont directement, en tout ou partie, découlé du fort retentissement médiatique de la commission d’un crime ou d’un délit.
Les conséquences de ce foisonnement sont évidentes. En premier lieu, les textes, souvent adoptés au son du canon et en fonction de considérations électoralistes, se révèlent parfois inapplicables : pour ne prendre que deux exemples significatifs, la loi contre les regroupements dans les halls d’immeubles n’a été de quasiment aucun effet et le fameux « décret anti-cagoules » n’a presque aucune chance de pouvoir être appliqué, de l’aveu même des policiers. Lorsque, parfois, les textes répondent à des demandes précises, l’absence de moyens donnés pour leur application empêche toute évolution réelle du problème qui en était à l’origine : la collégialité de l’instruction, pourtant votée à l’unanimité du Parlement, n’a ainsi jamais été mise en œuvre. Pire, les lois votées, du fait même de leurs conditions d’irruption sur l’agenda politique et d’élaboration, génèrent deux effets pervers qui freinent l’action des institutions : insécurité juridique endémique et aggravation des symptômes auxquels la loi était censée répondre. Ainsi, les dispositifs destinés à endiguer la prostitution n’ont fait qu’aggraver la situation des personnes prostituées. La multiplication outrageuse des priorités gouvernementales (racolage passif, chiens dangereux, voyageurs sans titre de transport, guet-apens et embuscades, bandes de garçons et de filles, violences conjugales, téléchargement illégal et d’autres encore) a totalement désorienté et engorgé les services de justice, de police et de gendarmerie qui ne sont même plus en mesure de faire face aux besoins de la population.
Au-delà, l’affichage arrogant par le pouvoir de la supériorité de l’attitude compassionnelle sur l’analyse juridique produit ses effets dans l’ordre juridique même : le quinquennat qui s’achève a été, de loin, celui où le Conseil constitutionnel aura le plus invalidé de dispositions nouvelles, et parfois des lois entières : loi sur la rétention de sûreté, sur l’inceste, LOPPSI 2 ou encore loi dite HADOPI. Quant aux critiques de la France par les institutions internationales, jamais elles n’auront été aussi nombreuses, de la commissaire européenne chargée de la justice au comité des droits de l’enfant des Nations Unies en passant par le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Mais le pouvoir n’a cure de ces objections – on pourrait même gager qu’elles le servent : la « neutralisation » des lois votées n’est-elle pas le gage de la possibilité d’en proposer d’autres de plus en plus répressives, et d’alimenter toujours davantage la machine à communiquer qu’est devenue la politique pénale ?
Dans ce contexte d’ « hyper-pénalisation », la prévention a été largement délaissée jusqu’à ce que les émeutes de 2005 obligent le ministre de l’Intérieur à réinvestir ce domaine. Dès 2002, le ton est donné, particulièrement en ce qui concerne la police de proximité qui est vertement critiquée – et caricaturée : « les policiers ne sont pas des travailleurs sociaux ». Pourtant, malgré leur diversité, les analyses des émeutes convergent toutes ou presque vers la dénonciation de l’impact négatif du changement de doctrine policière. Le besoin de proximité et de dialogue entre police et population est criant. Depuis, de timides tentatives pour relancer une forme de police de proximité voient le jour régulièrement (unités territoriales de quartier, brigades spécialisées de terrain, patrouilleurs…). Ces analyses mettent également l’accent sur les graves inégalités dont souffrent les habitants des quartiers d’habitat social – le taux de chômage des jeunes y est de 17 points supérieur à celui des jeunes des autres quartiers. Malgré l’ampleur du désastre, ces émeutes n’accoucheront que d’une loi deux ans plus tard – loi qui aurait dû être la première loi exclusivement consacrée à la prévention en France, mais qui est apparue en raison de son contenu comme une nouvelle loi répressive.
Progressivement, ces dix années auront conduit à une évolution forte de la notion même de prévention : « la répression est la meilleure des préventions » affirme le ministre de l’Intérieur. Dissuasive, la prévention se doit de s’éloigner de l’approche socio-éducative – selon les termes de la circulaire de 2011. Les thèmes et modalités d’action retenus frappent par leur manque de créativité et leur déconnection des réalités. Peu d’évaluation sont menées – celles qui le sont démontrent par exemple l’utilité de l’action des médiateurs ou encore des intervenants sociaux dans les locaux de police et de gendarmerie – dispositifs anciens heureusement pas entièrement mis à mal par cette nouvelle politique publique de la prévention. La priorité est donnée à la sanction et à la logique dissuasive, malgré l’inadéquation avec les besoins et les constats des acteurs de terrain. Ainsi, la politique de soutien parental repose aujourd’hui principalement sur des mesures de rétorsion. La prévention de la délinquance des mineurs n’a pas progressé tant les énergies ont été captées par les réformes législatives aggravant sans cesse la répression à l’égard des jeunes. Dans le domaine de la toxicomanie, la priorité est donnée à la pénalisation de l’usage, au détriment de la prévention. L’indemnisation des victimes a progressé, mais les associations d’aide aux victimes qui assuraient l’accueil, l’orientation et l’accompagnement concret des victimes sont aujourd’hui en danger de disparition en raison de la baisse du soutien de l’État. Ces quelques exemples démontrent la faiblesse du bilan en la matière.
L’évolution de la gouvernance de la prévention n’est pas meilleure. Le maire, censé être placé au cœur de toute la politique publique de prévention, a été victime d’un jeu de dupes. Le maire est sollicité, mais peu soutenu par l’État. Les crédits ne suivent pas. Il aura fallu les émeutes de 2005 pour qu’un sursaut budgétaire –de brève durée – soit observé. De 25M€ en 2001, les financements étatiques avaient chuté à 15M€ par an entre 2002 et 2005. L’année 2007 a été « faste » avec des crédits culminant à 30M€, mais leur décrue s’est amorcée tout de suite après et depuis 2009, le niveau de 20M€ n’est pas atteint. Insuffisants, les crédits sont également répartis de façon inéquitable. Le principe de la politique de la ville visant à donner plus aux villes les plus pauvres n’est plus respecté. La « géographie prioritaire » se dilue : 30% des financements « prévention de la délinquance » peuvent être attribués à des communes non prioritaires. Certaines villes pourvues de ressources importantes réussissent à obtenir des financements étatiques sur le fonds interministériel de prévention de la délinquance, telle la ville de Nice qui s’est vue allouer 2M€, soit 7% de la dotation totale du FIPD[1] pour la vidéo
-
surveillance.
La gouvernance de la prévention souffre également du désengagement des services de l’État dans la conception, le suivi et le financement des actions locales de prévention au profit des actions plus répressives. Ce recul va pourtant de pair avec une attitude plus centralisatrice des services étatiques. Le préfet se voit régulièrement enjoindre de faire adopter par les collectivités les nouveaux dispositifs de la loi de 2007. Il aura même fallu en 2011 rendre obligatoires les Conseils des droits et devoirs des familles dans les villes de plus de 50 000 habitants. Le soutien du gouvernement au développement des polices municipales est perçu sur bien des territoires comme une façon d’occulter le désengagement des services de la police nationale et de la gendarmerie. Les inégalités entre territoires s’aggravent du fait de ces évolutions.
Dans ce contexte, la vidéo
-
surveillance a été présentée comme la réponse « miracle » et l’outil privilégié de la prévention. D’inspiration britannique, l’engouement de Nicolas Sarkozy pour la vidéosurveillance se caractérise depuis 2002 par une fuite en avant que ne canalise aucune réflexion sur l’articulation de cet outil avec les autres dispositifs de prévention. Les missions qu’on assigne à la vidéosurveillance, devenue « vidéoprotection » pour rassurer les défenseurs des droits fondamentaux, ont vu leur périmètre s’accroître progressivement depuis 2002 au point de devenir la panacée pour prévenir, dissuader et élucider les crimes et les délits. La vidéo-surveillance a été promue directement par l’État qui est passé ici d’un rôle d’arbitre entre différents projets présentés par les collectivités locales à un rôle de promoteur. Le secteur économique de la vidéo-surveillance est d’ailleurs devenu le domaine le plus dynamique de la sécurité privée avec une croissance annuelle de 7% depuis 2004.
Le développement tous azimuts des caméras ne repose pourtant pas sur une évaluation sérieuse de leur efficacité. En 2008, la méta-analyse de Welsh et Farrington (étude de 41 évaluations disponibles dans le monde sélectionnées pour la rigueur de leur méthode) fait apparaître que la vidéosurveillance ne produirait d’effet dissuasif que dans les lieux fermés, qu’il serait faible pour prévenir les atteintes aux personnes et qu’il ne persisterait pas longtemps (quelques mois). Quant à l’impact sur le sentiment de sécurité, il serait quasiment nul. Les rares études françaises rejoignent ces conclusions et auraient dû ramener l’installation de caméras à de plus justes mesures. Utile au gouvernement et aux élus locaux pour faire croire à leur volontarisme en matière de sécurité, la vidéosurveillance est devenue la principale dépense du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) avec un doublement depuis 2007 des subventions atteignant, en 2010, 60% de l’enveloppe de ce fonds et ce
,
au préjudice d’autres actions de prévention. Or, l’aide apportée par l’État ne constitue qu’une aide au « démarrage », pour l’achat de caméras ; il faut y ajouter le coût de maintenance pour faire fonctionner ces dispositifs. Par exemple, la chambre régionale des comptes a constaté que la ville de Cannes avait déboursé environ 7M€ pour l’achat de 276 caméras, dont les coûts s’élèvent pour la maintenance à 350 000 € par an et à 600 000 € pour la rémunération des personnels.
L’engouement gouvernemental pour les caméras de surveillance se traduit par des annonces fortes, comme celle de tripler en 3 ans le nombre de caméras sur la voie publique, alors même que le nombre de caméras installées n’est pas systématiquement recensé. Ainsi, à Paris, selon les sources – toutes rattachées au ministère de l’Intérieur – l’estimation du nombre de caméras varie entre 15 000 et 33 000. Ce flou a d’ailleurs été relevé par la Cour des comptes en juillet 2011 qui a recommandé « de se doter des moyens d’une connaissance exacte des systèmes de vidéosurveillance ».
Le régime actuel d’autorisation et de contrôle de la vidéosurveillance fait intervenir principalement le préfet (autorisation), les commissions départementales de vidéosurveillance (avis consultatif) et, de manière résiduelle, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) (conservation numérique des images, couplage avec fichiers nominatifs). Leurs positions respectives parfois hétérogènes ne sont pas à la mesure de l’enjeu, s’agissant d’une matière pouvant toucher les libertés individuelles. Par ailleurs, aucune réglementation sérieuse n’a été développée quant à l’utilisation des images transmises par les agents visionneurs, sans formation juridique ou déontologique, aux forces de l’ordre puis à la justice. De même, l’utilisation d’images comme preuves dans un procès pénal s’est développé de fait, sans cadre juridique spécifique.
L’étude de ces quatre domaines d’action permet d’identifier des points communs qui constituent la marque de fabrique de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité, même si certaines des évolutions présentées trouvent leurs origines avant 2002. Le volontarisme affiché s’est trop souvent traduit par une accumulation de « priorités » définies en fonction des besoins de communication politique et non au regard des besoins de sécurité réels des citoyens tant au niveau national qu’au niveau des différents territoires de la République. L’hyper-pénalisation qui marque l’action législative et opérationnelle menée depuis 2002 n’a pas permis de répondre aux attentes de sécurité comme le démontrent notamment les enquêtes d’opinion ou les mouvements d’émeutes qui ont mobilisé bien des citoyens « ordinaires ». Surtout, la systématisation des réponses répressives a eu pour effet d’engorger durablement le système pénal annihilant sa réactivité et la pertinence de son action au profit d’une standardisation mécanique.
Au travers ces analyses, nous souhaitons que les leçons soient tirées des échecs, afin d’envisager une refonte d’ensemble de la politique publique de sécurité qui permette de répondre aux enjeux présents et futurs comme le rapport de Terra Nova publié en octobre 2011 l’a fait[2]. Il nous semble primordial de ne pas céder à la facilité du catalogue de mesures et de ne pas penser les réformes dans une perspective trop strictement institutionnelle : la politique de sécurité ne se limite pas à l’organisation des ministères et de leurs services ; elle doit approfondir la réflexion sur les techniques et méthodes de travail des acteurs de la sécurité et être élaborée en lien avec les scientifiques, les professionnels de terrain et les acteurs associatifs et non gouvernementaux. Certains éléments de cette politique nous paraissent pouvoir faire l’objet d’un large consensus politique qui constituerait une base solide et pérenne :
-       Le développement et la prise en compte des connaissances comme postulat de base de toute réforme : ces connaissances sont constituées des savoirs scientifiques des chercheurs et des savoirs empiriques des acteurs et de la société civile dans son ensemble. Elles doivent conduire à une réforme profonde de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales et au développement systématique d’évaluations visant non à déterminer l’attribution de mannes budgétaires, mais à améliorer la qualité du service rendu aux citoyens. Enfin, ces connaissances doivent être accumulées aux différents niveaux d’intervention territoriale et non uniquement centralisées.
-       La territorialisation de l’action nous paraît devoir être clairement renforcée : les services étatiques doivent acquérir plus de compétences d’action à l’échelle locale et les exigences administratives des administrations centrales à l’égard des services de terrain mériteraient d’être revues à la baisse pour permettre le développement de savoir faire nécessaires ; la répartition entre l’action locale – ou régionale – et nationale ne nous paraît pas reposer uniquement sur une séparation thématique – par exemple, la corruption ou une atteinte à l’environnement peuvent constituer un enjeu local. Il nous semble indispensable d’identifier systématiquement la valeur ajoutée apportée par les différents niveaux d’intervention.
-       L’adoption d’une approche par résolution de problèmes devrait irriguer la réflexion sur les méthodes de travail des acteurs de la sécurité. Cette méthode permet naturellement de mieux prendre en compte les spécificités des situations locales comme nationales ou internationales, de mieux cibler les priorités en fonction des besoins analysés à partir de sources de connaissances fiables et diversifiées et favorise le décloisonnement entre les multiples intervenants pouvant être utiles à l’amélioration de la sécurité et au-delà de la qualité de la vie quotidienne de tous.
Certaines étapes nous paraissent incontournables. Aucune réforme d’ensemble ne nous paraît envisageable sans repenser les missions assignées à l’institution judiciaire, aux services nationaux de police et de gendarmerie, aux services municipaux de sécurité et de prévention et aux autres acteurs susceptibles de s’inscrire indirectement dans une politique de sécurité. Les décisions gouvernementales de la décennie écoulée ont érigé la réponse pénale en modalité privilégiée de la sanction des comportements condamnés par le corps social. Il nous semble indispensable de revoir ces orientations en envisageant la dépénalisation de pans numériquement importants de contentieux afin, d’une part, de donner l’oxygène nécessaire à la réforme et au bon fonctionnement du système pénal et, d’autre part, de favoriser les autres modes de sanction et de « prise en charge » permettant d’améliorer la qualité du « vivre ensemble ».
En conclusion, il nous apparaît nécessaire de réhabiliter également dans le domaine de la sécurité l’humanisme indispensable à toute approche de la résolution des conflits – par la voie pénale ou par une autre. Il s’agit là d’un engagement reposant tout autant sur un pragmatisme réaliste que sur la forte conviction de l’infinie capacité de l’être humain à améliorer son comportement en société.


[1] Fonds interministériel de prévention de la délinquance
[2] Jean-Jacques Urvoas et Marie Nadel, Changer de politique de sécurité, Contribution n°18, Terra Nova, octobre 2011.

Nenhum comentário:

Postar um comentário